De quelles cultures provenons-nous, et de quelle couleur sont les barreaux de nos prisons ?

 

Avec nos yeux de toujours, mais ce ne sont que ceux que nous avions quand nous sommes venus au monde, le regard posé sur l’arbre, sur l’eau d’un lac, sur l’asphalte ou sur l’herbe qui mène au pied d’une montagne d’été d’automne ou d’hiver, nous respirons l’image jamais atteinte, mais toujours inchangée, du premier arbre, du premier lac, du premier paysage.

 

Il était devant l’enfant qui a ouvert les yeux dans le berceau, et l’enfant devenu vieux le cherche encore.

 

J’ai le souvenir de vitraux, de mosaïques, d’une nappe de dentelle, immense, écrue sur une surface d’ébène, de la couleur sombre des vins dans les carafes, des rires d’adultes qui promettaient que la vie serait riche plus tard, du piano droit et des polonaises que jouait ma mère, des reproductions de Picasso de Cézanne et de Gauguin que faisait mon grand-père,

il y en avait sur tous les murs, jusque dans le garage.

 

Elles se sont déposées comme des pierres sonores ces richesses de la vie, leur valeur dépend des jours, parfois de l’instant.

 

Certains jours je n’ai aucun imaginaire. En d’autres périodes je serais porté à recréer le monde. Mais ce serait encore un monde en deçà de mes attentes, un monde imparfait, toujours avorté du mien.

 

Heureusement que ce sont les autres qui s’en emparent !

 

Vous m'avez déchiffré à travers vos prismes mystérieux, comme des rayons de soleil qui donnent sa couleur à la chlorophylle. C'est déjà autant que ce que la vie nous donne. Il m’arrive aussi d’entrer dans des univers qui ne sont pas de moi. Vos univers me séduisent pour des raisons que je ne saurais dire, et que vous ne pourriez même pas comprendre.

 

Comment aurais-je lu, interprété, reçu ce qui s’offre à moi si je n’étais pas né dans cette culture de natures mortes et de nus cubistes ? Il n’y a pas beaucoup de bretelles d’accès sur l’autoroute qui part de l’enfance vers la vie. Quand une œuvre me traverse, un roman, un film, une photographie, je voudrais tant sauter les clôtures de ma cour intérieure.

 

C'est en partie parce que j’aurais voulu avoir le cerveau, et le corps tant qu'à faire, de quelqu’un d’autre. Un hôtelier, un ingénieur.

 

Ou ce mec qui passe devant chez moi, toujours à la même heure, quand il revient du travail à vélo, avec son sac à dos, sa baguette, on voit qu’il a hâte de rentrer, il n’a pas l’air de connaître l’angoisse, il fonce vers le moment présent. Il donne l'impression d'avoir tout reçu sans rien exiger...

comme je l’envie !

 

De quelles cultures provenons-nous, et de quelle couleur sont les barreaux de nos prisons ?

 

Avec nos yeux de toujours, mais ce ne sont que ceux que nous avions quand nous sommes venus au monde, le regard posé sur l’arbre, sur l’eau d’un lac, sur l’asphalte ou sur l’herbe qui mène au pied d’une montagne d’été d’automne ou d’hiver, nous respirons l’image jamais atteinte, mais toujours inchangée, du premier arbre, du premier lac, du premier paysage.

 

Il était devant l’enfant qui a ouvert les yeux dans le berceau, et l’enfant devenu vieux le cherche encore.

 

J’ai le souvenir de vitraux, de mosaïques, d’une nappe de dentelle, immense, écrue sur une surface d’ébène, de la couleur sombre des vins dans les carafes, des rires d’adultes qui promettaient que la vie serait riche plus tard, du piano droit et des polonaises que jouait ma mère, des reproductions de Picasso de Cézanne et de Gauguin que faisait mon grand-père,

il y en avait sur tous les murs, jusque dans le garage.

 

Elles se sont déposées comme des pierres sonores ces richesses de la vie, leur valeur dépend des jours, parfois de l’instant.

 

Certains jours je n’ai aucun imaginaire. En d’autres périodes je serais porté à recréer le monde. Mais ce serait encore un monde en deçà de mes attentes, un monde imparfait, toujours avorté du mien.

 

Heureusement que ce sont les autres qui s’en emparent !

 

Vous m'avez déchiffré à travers vos prismes mystérieux, comme des rayons de soleil qui donnent sa couleur à la chlorophylle. C'est déjà autant que ce que la vie nous donne. Il m’arrive aussi d’entrer dans des univers qui ne sont pas de moi. Vos univers me séduisent pour des raisons que je ne saurais dire, et que vous ne pourriez même pas comprendre.

 

Comment aurais-je lu, interprété, reçu ce qui s’offre à moi si je n’étais pas né dans cette culture de natures mortes et de nus cubistes ? Il n’y a pas beaucoup de bretelles d’accès sur l’autoroute qui part de l’enfance vers la vie. Quand une œuvre me traverse, un roman, un film, une photographie, je voudrais tant sauter les clôtures de ma cour intérieure.

 

C'est en partie parce que j’aurais voulu avoir le cerveau, et le corps tant qu'à faire, de quelqu’un d’autre. Un hôtelier, un ingénieur.

 

Ou ce mec qui passe devant chez moi, toujours à la même heure, quand il revient du travail à vélo, avec son sac à dos, sa baguette, on voit qu’il a hâte de rentrer, il n’a pas l’air de connaître l’angoisse, il fonce vers le moment présent. Il donne l'impression d'avoir tout reçu sans rien exiger...

comme je l’envie !

 

normand chaurette

De quelles cultures provenons-nous,

et de quelle couleur sont les barreaux de nos prisons ?

Avec nos yeux de toujours,

mais ce ne sont que ceux que nous avions quand nous sommes venus au monde,

le regard posé sur l’arbre, sur l’eau d’un lac,

sur l’asphalte ou sur l’herbe qui mène au pied d’une montagne

d’été d’automne ou d’hiver,

nous respirons l’image jamais atteinte,

mais toujours inchangée,

du premier arbre, du premier lac, du premier paysage.

Il était devant l’enfant qui a ouvert les yeux dans le berceau,

et l’enfant devenu vieux le cherche encore.

 

J’ai le souvenir des vitraux, des mosaïques,

d’une nappe de dentelle, immense,

écrue sur une surface d’ébène

de la couleur sombre des vins dans les carafes,

des rires d’adultes qui promettaient que la vie serait riche plus tard

des chanteurs d’opéra qu’accompagnait ma mère

des reproductions d'impressionnistes que faisait mon grand-père

il y en avait sur tous les murs, jusque dans le garage

et quand je regarde aujourd’hui les richesses devenues,

je me dis que rien ne vaut le rêve et l’anticipation.

 

Enfant, je n’avais qu’un rêve : vieillir.

 

Elles se sont déposées comme des pierres sonores

ces richesses de la vie

leur valeur dépend des jours, parfois de l’instant

certains jours je n’ai aucun imaginaire

en d’autres périodes je serais porté à recréer le monde

mais ce serait encore un monde en deçà de mes attentes

un monde mineur, toujours avorté du mien.

 

Heureusement que ce sont les autres qui s’en emparent !

Comme il m’arrive d’entrer dans des univers qui ne sont pas de moi.

Ils me séduisent pour des raisons que je ne saurais dire, que leurs auteurs ne pourraient même pas comprendre.

 

Comment aurais-je lu, interprété, reçu, ce qui s’offre à moi si je n’étais pas né dans cette culture qui fut la mienne ? Il n’y a pas beaucoup de bretelles d’accès sur l’autoroute qui part de l’enfance vers la vie. Quand une oeuvre me traverse, un roman, un film, une photographie, je voudrais tant sauter les clôtures de ma cour intérieure. J’aurais sérieusement voulu être quelqu’un d’autre. Un hôtellier, un ingénieur.

 

Ou ce travailleur qui passe devant chez moi, toujours à la même heure, quand il revient du travail à vélo, avec son sac à dos, sa baguette, on voit qu’il a hâte de rentrer, il n’a pas l’air de connaître l’angoisse, il fonce vers le moment présent.

Il donne l'impression d'avoir tout reçu sans rien exiger... Dieu que je l’envie !