L'AUTRE HIVER

 

 

Opéra fantasmagorique de Dominique Pauwels, Normand Chaurette, Denis Marleau et Stéphanie Jasmin

 

Créé le 7 mai 2015 au Manège de Mons, Belgique

 

Musique de Dominique Pauwels

Livret : Normand Chaurette

Mise en scène, scénographie et vidéo : Denis Marleau + Stéphanie Jasmin

 

Crédits

Musique et installation sonore : Dominique Pauwels

Livret : Normand Chaurette

Mise en scène, scénographie et vidéo : Denis Marleau + Stéphanie Jasmin

Chef d’orchestre : Filip Rathé

Orchestre : Musiques Nouvelles, Karel Coninx (alto) + Cédric Debruycker (clarinettes) + Berten D’Hollander (flûtes) + Laurent Houque (violon) + André Ristic (piano) + Jean-Pol Zanutel (violoncelle)

Avec : Lieselot De Wilde + Marion Tassou

Chœurs : Coro Gulbenkian (soliste: Patrycja Gabrel) + Chœurs d’enfants de La Monnaie (solistes: Boyan Delattre, Maria Portela)

Assistance à la mise en scène : Thierry Mousset

Éclairages : Éric Soyer

Diffusion vidéo et montage : Pierre Laniel

Personnages vidéos : Boyan Delattre + Marianne Pousseur + Simon Schneider + Lieselot De Wilde + Marion Tassou

Masques et effigies : Claude Rodrigue

Costumes : Greta Goiris + Judith Stokart

Maquillages et coiffures : Angelo Barsetti

Assistance au décor : Stéphane Longpré

 

 

L'AUTRE HIVER

SYNOPSIS

 

La scène se passe la nuit sur le pont d'un bateau pris dans des glaces.

 

Tableau I

Un enfant évoque l'ange heureux de ses premiers jours.  Puis il se souvient d'une nuit de discorde où cet ange fut détruit.

 

Tableau 2

Sur le pont d'un navire, l'ange déchu se révèle sous les traits d'un professeur de langue hanté par une classe d'élèves indociles. Un passager lui offre sa compréhension, mais ne parvient pas à le rassurer. Dans l'immensité de la nuit, la voix nostalgique de la mer s'élève.

 

Tableau 3

Les passagers du navire se présentent. L'ange et l'enfant se rencontrent. L'enfant ne reconnaît pas son ange: il est un amas de débris, sa main est un revolver. L'enfant a peur.

 

Tableau 4

À l'issue d'une fête, le professeur de langue et le passager, éméchés, approfondissent leurs liens. Ce dernier fait le commerce des armes à feu. Le premier dit s'appeler Paul Verlaine, le second, Arthur Rimbaud.

 

Tableau 5

Les deux passagers éprouvent vite l'inconfort de leurs identités par le rappel d'un passé déchirant. Une rupture fracassante se joue entre eux, où s'entremêlent les forces empoisonnées du désir et de la passion.

 

Tableau 6

L'ange, déjà détruit, sous les traits d'un homme obsédé par la trahison, implore les passagers d'écouter le récit de son enfance malheureuse.

 

Tableau 7

Ce récit nous transporte dans un lointain matin de Pâques où les élèves d'une classe de religion illustrent le mystère de l'Alchimie du Verbe. Écrit par le plus brillant d'entre eux, ce spectacle aura détruit les illusions et le destin du moins fortuné - cet ange déchu, ou poète maudit, ou simple passager sur le bateau de la vie, apportant aux uns la gloire, aux autres la misère.

 

Tableau 8

Malgré la compassion des passagers émus, l'ange à la main en forme de revolver réclame justice. Il reconnaît Rimbaud en chacun de ses interlocuteurs et, tirant sur eux, il assassine aussi l'enfant tandis que s'élève un chant de la résurrection.

 

 

 

L’AUTRE HIVER

 

Livret de Normand Chaurette

2015

 

 

 

PERSONNAGES

 

 

RIMBAUD I

RIMBAUD II

VERLAINE I

VERLAINE II

 

CHŒUR HOMMES

CHŒUR FEMMES (Mère, enfants)

SOPRANO (La Mère Essentielle)

 

 

 

 

1

 

VOIX D’UN ENFANT

 

Je suis un autre

qui me surveille sans répit

où que j’aille, quoi que je fasse

il descend sur moi

et pose sur mon front sa main de glace.

 

Enfant, j’étais le confident de mon ange

Il m’accompagnait à l’école

Où j’apprenais les lettres et les chants.

 

C’était lui qui plaçait en moi

la lumière du jour.

 

J’étais son soleil

son unique joie.

 

Il pleurait de bonheur et essuyait ses joues

de sa main tendre car au lieu de ses doigts

Dieu, à sa naissance, avait placé des fleurs.

 

J’étais son unique soleil

Son unique joie.

 

CHŒUR D’ENFANTS

Vie ! Vie ! Vie !

O altitudo altitudinum !...

 

The Lord appeared on our path

Along the sower and his seed

God revealed himself to us

As the gardener of the universe

And we are, children of Holy School

Children of Holy Days

Children of Resurrection

Lambs and ewes

Of eternal Life !

 

Vie ! Vie ! Vie !

 

 

VERLAINE II

 Il y eut un soir où, contrairement aux autres soirs, les chants se confondirent dans leurs échos.

Au lieu de s’atténuer en harmonies dociles comme j’étais habitué de les entendre, ils se mirent à cracher des segments de cantiques hostiles à nos voix.

 Je me retournai pour implorer le ciel de me protéger des débris de météorites qui fonçaient en direction de mon cuir chevelu.

 Mais je le vois,

 

RIMBAUD II

… mon ange,

 mon pauvre ange, toutes fleurs fanées à ses doigts,

 toutes fleurs incendiées,

 mon ange qui monte de façon fort inélégante,

 mon ange amalgamé dans des vagues de carbone obscur et disséqué par des craquements, des torsions, des bris de coraux extirpés des glaces,

 monte, monte, barbouillé d’horribles écailles, sa  peau crevassée de gerçures…

 

VERLAINE II

Horreur ! il était nu !

 

RIMBAUD II

échevelé, aphone, déchiré,

les ailes dissolues dans des nuées noires chargées de meurtrissures, d’ecchymoses, d’hématomes et d’horribles lacérations qui englobaient l’univers.

 

VERLAINE II

Nous avions toujours rêvé de la nuit,

de la pâleur des nuages,

de l’opalescence des arc-en-ciel

des grands bras élevés de mères silencieuses

et du plaisir des rêves à l’enfant resté sur la terre qui s’endort…

 

Nous avions toujours rêvé de la nuit qui disparaissait avant nous,

Désertait nos têtes, emportant le repos...

 

RIMBAUD II

Mon ange,

mon pauvre ange,

n’a plus de voix

que de pauvres lèvres tordues

en forme de : “Sois tranquille, je reviendrai”

mais déjà sa bouche décomposée

transforme sa promesse en mensonge.

 

Mon ange,

mon pauvre ange,

se dissipa

fusée distordue,

débris noir…

 

VERLAINE II

Il y eut un soir, mais il n’y eut pas de matin.

 

 

2

 

 

CHŒUR D’ENFANTS

Black ! The sun is black !

Clouds are black !

Stars are black !

Sky is black

And sound is black

Wind is black

And birds are black !

 

They have swallowed the sheep

 

Black ! Black ! Rising stars are black

They’re spread over darkness

They’re sunk in the cold night

They trow darkness in earth

And the herds are black.

 

 

Un homme apparaît sur le pont. Immobile, hagard.

 

Il tient dans sa main un revolver. On verra, en temps et lieux, que cet homme est lui-même un revolver, au bout duquel un être humain s’est fait chair. Mais pour l’instant, on ne voit que sa constitution un tant soit peu banale, un homme solitaire, venu de nulle part, ou de l’Angleterre, car c’est lui qui enseigne le grec, le latin et le français aux enfants d’une banlieue de Londres.

 

C’est un ange déchu.

 

VERLAINE I – Black !

 

LE CHŒUR DES ENFANTS – Noir !

 

VERLAINE I – Black is the blackboard.

 

LE CHŒUR – Noir est le tableau noir.

 

VERLAINE I – Black is the silence.

 

LE CHŒUR – Black.

 

VERLAINE I – No, listen: black is the silence.

 

LE CHŒUR – Noir est le silence.

 

VERLAINE I – What’s the color of chalk ?

 

LE CHŒUR – Noire.

 

VERLAINE I – What’s the color of the Red Sea ?

 

LE CHŒUR – Noire ! Noire ! Noire !

 

Apparaît le passager Rimbaud.

 

VERLAINE II – Pourquoi ces enfants, si dociles quand je leur enseigne le français, deviennent-ils si menaçants quand ils m’apparaissent dans la nuit ?

 

RIMBAUD II – Vous voulez vraiment le savoir, monsieur le professeur ? Leurs visages sont noirs, leur peau, leur sang, la salive dans leur bouche, tout ce qui vit dans leur esprit est noir. Ils saignent, et mon coeur saigne avec eux.

 

LE CHŒUR DES ENFANTS – Where are we ?

 

RIMBAUD I – En français, s’il vous plaît.

 

LE CHŒUR – Où sommes-nous ?

 

VERLAINE I – Nous sommes sur un bateau.

 

RIMBAUD I – Where is the boat ?

 

VERLAINE I – Où est le bateau ?

 

LE CHŒUR – Le bateau est sur la mer.

 

RIMBAUD I – The boat is on the sea.

 

LE CHŒUR – Where is the sea ?

 

VERLAINE I – Sous le bateau.

 

RIMBAUD I – Où est la mer ?

 

LE CHŒUR – Where is the mother ?

 

Rire des enfants.

 

VOIX LOINTAINE DE LA MER

Je suis grise !

 

RIMBAUD I – Vous êtes apparu brusquement pendant que j’étais là, en train d’écouter la mer.

 

VOIX LOINTAINE DE LA MER

Je me brise !

 

VERLAINE I

Que vous disait-elle encore ?

 

LA MER

 

Autrefois

Mon chant céleste

S’imprimait dans l’atmosphère

Une grâce cardinale

S’emparait de ma voix

Nous pouvions voir s’élever dans les airs

Les psaumes que je chantais.

 

J’étais votre Dame Substantielle

J’étais votre Mère Essentielle

Coiffée de mèches latentes

Sous le Dôme de l’Arc-en-Ciel.

 

Hélas aujourd’hui je suis grise

et je vis amputée des parties vitales de moi-même.

Quand j’étais jeune au sommet d’un rocher,

je savais dévaler les flancs de la terre.

Je savais rire avec mes enfants.

Mais je suis devenue vieille.

Ma source pleure au loin dans les cailloux.

Je vacille.

Je me noie parmi les cadavres de mes époux.

 

 

3

 

 

VERLAINE I

Mais vous, que faites-vous dans la vie ?

 

RIMBAUD I

Trente-six métiers, trente-six misères, comme on dit. En ce moment, je travaille à commission.

 

Ici des passagers s’isolent du chœur et se joignent les uns aux autres, en se présentant tour à tour.

 

PASSAGÈRE 1 – À commission ? Tiens, comme mon mari. (Au passager 1:) Et vous, quel est votre métier ?

 

PASSAGER 1 – Je suis peintre. J’expose. Dans les beaux quartiers.

 

PASSAGER 2 – Moi je suis boulanger.

 

PASSAGER 3 – Je suis ferblantier dans le Marais.

 

PASSAGER 2, au Passager 4 – Et vous ? Quelle est votre occupation ?

 

PASSAGER 4 – Je suis notaire, et honnête homme. (Au Passager 5.) Et vous monsieur ?

 

PASSAGER 5 – Moi, je n’ai pas de travail. Je suis un romantique.

 

PASSAGER 4 – Ce n’est pas très à la mode.

 

PASSAGÈRE 2 – Et moi je suis docteur en théologie.

 

PASSAGÈRE 1 – Alors dites-moi docteur, l’Apocalypse ? Est-ce que ça va arriver pour de vrai ?

 

VERLAINE II –

Il n’y avait pas de lune ce soir-là, pas de lumière.

L’enfer avait épargné le plus doux de ces enfants.

Il dormait sur le pont.

Je contemplais la pâleur de ses cheveux

La précision de ses mains jointes

Et de ses doigts purs.

Il était un bouquet de chair à mes pieds.

 

 

Verlaine I s’approche de l’enfant qui s’éveille.

 

LE CHŒUR DES ENFANTS

 

Si nous sommes nombreux à dormir

Notre sommeil est heureux

Si on est seul quand on dort

Notre sommeil est triste

Triste car il dort en orphelin

Notre sommeil,

Sans père ni mère ni sœur aînée ni rien.

 

 

VERLAINE I, à l’enfant –

Je savais bien que tu n’étais pas mort.

On ne meurt pas les yeux clos.

C’est tout le reste, en dehors de toi

Qui se ferme à la vie.

 

L’ENFANT – Cela fait des jours que mon bateau pleure.

 

VERLAINE I, amusé – Il ne pleure pas. Il a voulu se mesurer au soleil, il a eu chaud, et comme il est de glace et que le soleil est de feu …

 

L’ENFANT – Je ne vous connais pas. Qui êtes-vous ?

 

VERLAINE I – Tu trembles ? Tu as froid ?

Donne-moi ton bras, je vais le réchauffer.

Ah ! Comme tu lui ressembles !

Il était mon unique soleil !

 

LE CHŒUR DES ENFANTS

 

Sans caresses sur nos cheveux

Nos têtes se réveillent

Tandis que nos bras restent morts

Et ce que voient nos yeux dans le noir

Dessine les branches maigres

Les branches froides

Noueuses et tourmentées de l’autre hiver.

 

VERLAINE I – Comme tu lui ressembles !

 

L’ENFANT – Moi ?

 

VERLAINE I – Il avait les mêmes yeux.

La bouche, le nez, les cheveux.

La joue le pigment le menton la lèvre

Et la langue qui avait toujours soif.

 

L’ENFANT –  Votre main est une fourche de glace ! Allez-vous-en.

 

LE CHŒUR DES ENFANTS

 

Le papillon noir aux ailes de tole

Tombe comme un toit sur nos têtes

Apporte la faim sans les chaudrons

La soif sans la source ni le puîts

Le frimas sans la cheminée

Et nos têtes sans chapeaux ni cheveux

Nos têtes anciennes

Ne savent plus qui nous sommes.

 

L’ENFANT – Vous êtes venu au monde comme ça ?

 

VERLAINE I –  Ma main serait restée coincée trop longtemps quand j’étais dans le ventre de ma mère.

 

Verlaine veut enlacer l’enfant qui recule en poussant un cri :

 

L’ENFANT – Ne tirez pas sur moi. Votre peau est calleuse. Si vous ne partez pas maintenant, je vais crier, je vais réveiller l’équipage, on va vous chasser du bateau.

 

VERLAINE I – J’étais venu pour te réchauffer.

 

L’ENFANT - Je ne suis pas celui que vous pensez

Je suis là pour protéger le bateau

Il y a cet Autre qui me surveille

Debout sur son échafaudage à l’horizon

Des débris tombent du ciel

Des poissons veulent m’engloutir

Des rapaces rôdent sans arrêt

Autour de moi.

 

LE CHŒUR DES ENFANTS – Nous, nous ne les voyons pas.

 

L'ENFANT – Parce que ces bêtes sont de la même couleur que l’air.

Ce sont ces bêtes qu’il faut tuer.

Rangez votre revolver.

 

VERLAINE I

Touche à sa douceur !

Ce n’est pas de la glace.

C’est une main chaude sur tes tempes.

C’est un bouquet de roses

Qui s’épanchent sur ton front.

C’est le souffle brûlant

Qui redonne à l’astre

Sa grandeur des premiers jours !

Tu étais mon unique soleil,

Tu étais mon unique soleil.

 

L’enfant s’est endormi.

 

VERLAINE I – C’était à l’époque magique de notre première communion. Je l’avais choisi comme ami. Nous avions tout en commun; nous partagions nos choses.

 

Il n’avait pas de secrets pour moi. Moi non plus. Je lui confiais tout, mes espoirs, mes chagrins.

 

Il recevait plus de distinctions que les autres.

 

Ma santé n’était pas très bonne – aussi je devais souvent manquer l’école. Mes résultats étaient passables. Je ne sais trop si l’inverse eût été vrai, mais je ne jalousais pas ses succès. Au contraire, je le félicitais, chaque jour.

 

Je me revois par un dimanche de Pâques

Dans l’air pluvieux du matin

Nous chantions la mort et la résurrection d’un enfant.

 

PASSAGÈRE 1 – Il va nous raconter son histoire.

 

PASSAGER 1 – Toujours la même.

 

PASSAGER 2 – Cet ami de toujours…

 

PASSAGER 3 – Son unique soleil…

 

PASSAGER 4 – Et son unique joie …

 

PASSAGER 5 – C’était par un matin de Pâques…

 

PASSAGÈRE 2 – Cet enfant, qui était-ce ?

 

PASSAGÈRE 1 – Son ami de toujours. Il en fut séparé. Depuis, il parcourt le monde, et cherche à le reconnaître.

 

 

4

 

Il y a une fête quelque part sur le bateau. Les deux hommes, qui ont trop bu, viennent respirer sur le pont.

 

VERLAINE I – Speak, I pray you, speak again, parlez. Vous étincelez mon esprit, éblouissez mon oreille. Tout ce qui sort comme en fine cuillerée d’argent de votre bouche, dessine dans mon imaginaire le confort d’une musique qui dans mon tympan se couche. Speak, I pray you, speak again ! Twinkle spirit, my only joy. Wiggle your lips, their fragrant colors as children flesh, rose as the world’s quintessence !

 

RIMBAUD I* – “Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants, doux comme les hautbois, verts comme les prairies.”

* [citation de Baudelaire]

 

VERLAINE I – Pas si fort. Les diables sont jaloux.

 

RIMBAUD I –  Chchchch ! Que faisiez-vous à Londres ?

 

VERLAINE I – J’enseignais le français, le grec et le latin à de jeunes Anglais.

 

RIMBAUD I – Des élèves doués ?

 

VERLAINE I – Pour la plupart. L’Angleterre est une monarchie. Le français est la langue des rois. Le latin, celle des empereurs. Qu’allez-vous faire à Marseille?

 

RIMBAUD I – Porter cette marchandise. Vous parlez de monarchie. Saviez-vous que cette arme à chargement par la culasse, Henry VIII en possédait une.

 

VERLAINE I – Et ceci ? C’est un Ferguson ?

 

RIMBAUD I – Oh. Je vois que vous vous y connaissez. Un des derniers specimen avant qu’il ne soit remplacé par le mousquet standard. Guerre de Sécession.

 

VERLAINE I – Ma main s’échauffe, et mes tempes brûlent, du désir de caresser ces fusils.

 

RIMBAUD I – Posez vos paumes sur le satin de l’étui. Qui donne sa chaleur à l’autre ? L’arme à feu, qui dort dans son lit, ou le duvet, qui protège l’acier, et la précision du mécanisme? Regardez ce canon expérimental: peu de gens peuvent se vanter d’avoir vu de près ces armes de la marine de la Russie impériale. Ce premier  canon rayé inventé par Wahrendorff possède son culot de culasse cylindrique verrouillé par une cale horizontale. On raconte qu’à l’usine d’État d’Oboukhov, les hommes qui expérimentaient ces modèles pour la première fois devaient se conditionner pour ne pas réagir physiquement à la détonation qui opérait simultanément sur leur système sanguin, nerveux et musculaire. Certains, en tirant, éprouvaient une érection immédiate. Comme les pendus au bout de leur corde.

 

VERLAINE I – Cela doit valoir une fortune.

 

RIMBAUD I – L’estimation des coûts n’est pas mon domaine. Je peux vous donner la carte de mon général de division. Quand vous rentrerez à Paris, il pourra vous orienter vers un assortiment de canons, de cartouches et d’obus selon les moyens dont vous disposez.

 

VERLAINE I, lisant – Gabriel Malleterre, Hôtel des Invalides. Et vous même, votre nom ?

 

RIMBAUD I – Arthur Rimbaud.

 

VERLAINE I – Paul Verlaine, enchanté.

 

PASSAGÈRE 1 – Mathilde Mauthé de Fleurville, enchantée.

 

PASSAGER 1 – De la Tour du Pin, voici ma carte.

 

PASSAGER 2 – André Lenôtre, pour vous servir.

 

PASSAGER 3 – Victor Hugo, mais attention, moi, c’est le vrai.

 

PASSAGER 2 – Celui des Misérables ?

 

PASSAGER 4 – Ne les écoutez pas. Il n’y a qu’un seul Rimbaud ici: c’est moi.

 

PASSAGER 5 – Erreur, c’est moi.

 

PASSAGER 4 – En ce cas je suis Verlaine et je vais vous tirer dessus.

 

PASSAGÈRE 2 – S’il vous plaît messieurs ! N’allez pas vous entretuer !

 

VERLAINE II, à la passagère 1 – Je vous connais, il me semble…

 

PASSAGÈRE 1, à Verlaine II – Je suis votre épouse. Je suis votre mère. Je suis votre soeur.

 

RIMBAUD I, à VERLAINE I – Et je suis votre amant.

 

 

5

 

RIMBAUD I, à Verlaine

Il n’était pas dans mon intention

De te revoir ici.

J’étais en paix – sur le pont d’un bateau

Qui s’en allait nulle part.

Maudites voix qui déchirent le silence…

Black ! Black ! Everything is black:

 

LE CHŒUR DES ENFANTS – Black ! Black ! Black ! Black !

 

RIMBAUD I – Entends-tu l’heure qui sonne ?

C’est l’heure où je dois te dire adieu.

 

VERLAINE I –

Mon rêve est broyé quand tu t’arraches de mes bras

Nous étions joyeux pourtant…

 

RIMBAUD I –

Nous vivions côte à côte, tu étais à moi,

Et j’étais tienne, moi, enrobée du soir

Lune descendant le grand escalier

Moi, mademoiselle Rimbaud,

Aspergée de tes charmes.

C’était le bonheur le plus absolu

Que deux êtres pouvaient vivre

Je ne savais pas lequel d’entre nous

Était le plus incandescent

Dans l’amour qu’il donnait à l’autre.

Mon corps en entier aspirait à contenir

Tout ce qui te constituait

Ton corps étendu, ta chair épuisée

Ta bouche où je baignais chaque parcelle de mon désir

Chaque coup, chaque morsure, chaque étranglement

M’aurait transporté dans ce bonheur absolu

Dont je te parle; mais tu puais.

 

LE CHŒUR DES ENFANTS – Black ! Black ! Black ! Black !

 

VERLAINE I –

L’heure qui sonne entre dans ma chair.

Chaque coup qui résonne

Est le glas que tu enfonces

Dans ce que nous avions de plus doux.

 

RIMBAUD I – Et que tu as détruit.

 

VERLAINE I – Moi ?

 

RIMBAUD I – Je t’aimais je t’assure. Mais nous avons parlé de ta lâcheté tant de fois qu’aujourd’hui je m’épuise à te dire pourquoi je suis inquiet, détruit, d’avoir aimé jusqu’à l’infini un homme qui ne m’aimait pas.

 

VERLAINE I, s’effondrant – Moi ?

 

RIMBAUD I –

Il n’était pas dans mon intention de te revoir ici.

Je l’espérais pourtant.

Si tu ne m’avais pas suivi,

J’aurais sombré dans une tristesse surhumaine

J’aurais reçu jusque dans ma chair

Une douleur plus sanguine que les coulées

Brûlantes et pourpres qui arrosent l’enfer.

Dieu soit loué, tu es là.

Comme éternelle est la grandeur

D’un homme qui apparaît sur le pont d’un bateau

Alors qu’on se désespérait

De ne plus jamais le revoir.

 

VERLAINE I – Mais à présent que je suis là ?

 

RIMBAUD I – Qui ?

 

VERLAINE I – Moi.

 

RIMBAUD I – Toi ?

Mais regarde-toi, misère !

Écrasé dans ta pourriture !

Dans tes larmes d’ivrogne,

Dans tes lamentations d’homme ordinaire.

 

VERLAINE I – Moi ?

 

LE CHŒUR DES ENFANTS – Black ! Black ! Black !

 

RIMBAUD I – Moi ? Moi? Moi ? Cesse de dire “Moi?” comme une épave qui copule avec sa propre ignorance. Le véritable “Toi” que j’aimais, ce “Toi” inoubliable que j’attendais, si puissant et si tendre que je voulais le fuir, cet amant pour lequel j’aurais ruiné ma vie, il est écrasé par terre, assoiffé, pas même capable de boire à la flamme de mes membres étalés qui brûlent, et je comprends, quand je te vois, “Toi!”, que tu n’existes pas.

 

LE CHŒUR DES ENFANTS – Black !

 

Verlaine I, étendu par terre, lève son arme en direction de Rimbaud I, qui s’offre comme une cible. Mais il laisse retomber son bras, et reste immobile comme un cadavre.

 

PASSAGÈRE 1 – Nous sommes à blâmer d’avoir écouté cela.

 

PASSAGER 1 – Moi, je l’aurais tué.

 

PASSAGER 2 – Moi aussi. J’aurais tiré.

 

PASSAGER 3 – J’aurais tiré sur lui deux, trois, quatre fois.

 

PASSAGER 4 – Un millier de fois. Rien n’aurait pu m’arrêter.

 

PASSAGER 5 – Son cadavre étant mort, j’aurais continué de tirer dessus.

 

PASSAGÈRE 2 – Moi je dis qu’une seule fois aurait été suffisant.

 

PASSAGÈRE 1 – Non. Moi je dis qu’un être humain ne devrait jamais causer la mort de son prochain.

 

 

 

6

 

RIMBAUD I –

Pourquoi tu ne m’as pas tué ?

C’aurait été si doux, venant de toi,

Que la balle se loge dans ma tête

Comme une idée.

 

Pourquoi tu ne m’as pas tué ?

Pourquoi m’avoir touché

Jusqu’au fond de l’âme

Et m’avoir abandonné

Seul, étranger, inconsolé ?

 

C’aurait été si doux

Que vienne après l’hiver

Les vents remplis d’extase

De l’éternel été.

 

C’aurait été si doux

Que l’arme épanouie de ta main

Me réduise à néant où j’aurais,

En t’aimant, retrouvé mon aimé.

Pourquoi tu ne m’as pas tué ?

 

CHŒUR D’ENFANTS

Vie ! Vie ! Vie !

Dans l’abbaye

Chante la brebis

Éblouie

Au paradis

De l’Agnus Dei.

 

VERLAINE I

Un champ de jonquilles s’étale

Un dimanche matin s’imprime à l’horizon

Et dans le souvenir

Une joie pleine de lumière

Et de beauté renaît.

 

Un enfant!

Qui sait à peine lire et compter !

Un enfant qui marche à reculons

Qui cherche à se dérober

À fuir ma présence sans être vu.

 

Hagard, Verlaine pointe son arme en direction du passager 2.

 

C’était toi ! Je te reconnais !

 

PASSAGER 2 – Il y a une erreur certainement. Je ne sais pas de quoi vous parlez.

 

VERLAINE 1, à un autre – Laissez-moi vous raconter mon histoire.

 

PASSAGER 3 – Je la connais. Vous me l’avez racontée déjà. Et à la fin, vous avez brandi votre revolver et vous avez tiré sur moi.

 

PASSAGER 4 – Dieu soit loué, vous n’êtes pas mort.

 

PASSAGER 5 – Votre histoire, nous la connaissons tous.

 

VERLAINE 1 – Il était mon unique soleil…

 

LES PASSAGERS – Oui, votre unique soleil, votre unique joie !

 

VERLAINE I – Dans la cour de l’école, c’était toi qui m’appelais ton ange, ton ange aux ailes froissées, ton ange rescapé du troupeau de Satan. Tu m’as tué !

 

Il brandit son arme et vise alentour comme un franc-tireur.

 

PASSAGÈRE 1 – Attention ! Voilà qu’il recommence. Cela pourrait bien finir par la mort de quelqu’un.

 

VERLAINE I – La mienne. Vous voyez bien que c’est moi qu’on a détruit.

 

RIMBAUD I  – Il est tard à présent, allons nous coucher.

 

VERLAINE I – Qui êtes-vous ?

 

RIMBAUD I – Pour vous, je suis un parfait étranger. Je vous le dis : un jour, ça va déraper. Corrigez votre attitude. Cessez de toujours raconter cette même histoire.

 

RIMBAUD II – Pour ma part, je veux bien l’écouter.

 

CHŒUR, à Rimbaud II – Vous allez voir. Il commence toujours son récit par les mêmes mots : “Il était mon unique soleil”, “ah! Si vous l’aviez connu!” Il attend, seul, que cet ami d’autrefois réapparaisse pour lui faire goûter à tous les répits de l’existence. Il entend sa voix chanter les délices de l’enfance.

 

VERLAINE I, à Rimbaud II – C’était par un matin de Pâques. Mon ami de toujours marchait sagement dans les rangs sous les traits d’un jeune homme à l’aube de sa vie. Ah si vous l’aviez connu ! Rien n’aurait dû nous séparer.

 

RIMBAUD II – N’était-ce pas vous qui lui aviez tourné le dos ?

 

VERLAINE I – Moi ? Alors que je l’implorais de ne pas m’abandonner ? Je lui avais dit : « Quand je devrai partir en voyage, viendras-tu avec moi ? Et si je dois m’en aller seul, nos liens seront-ils assez forts pour qu’à mon retour, notre amitié redevienne comme avant ? »

 

RIMBAUD II – Et lui, qu’avait-il répondu ?

 

VERLAINE I – Rien. Le professeur l’avait choisi pour disserter sur la grandeur du Verbe, et le spectacle était sur le point de commencer. Je nous revois dans la classe, et je revois les pâturages qui s’éveillaient au printemps derrière la cour de l’école. Je réentends l’écho des hymnes que chantaient les écoliers …

 

 

7

 

L’Alchimie du verbe, ou l’opéra dans l’opéra.

 

LE CHŒUR DES ENFANTS

 

Vie ! Vie ! Vie !

 

VOIX DE L'ENFANT, récitation

 

“L’Hymne à la Vie”, ou “Comment, de façon furtive et fort inespérée, nous assistâmes, vîmes et entendîmes l’Alchimie du Verbe.”

 

Côté cour, un jardinier, qui incarne la vie.

Il humecte du bout de ses dix doigts

Tel un arrosoir aux larmes de joie

Le labeur infatigable du ver à soie.

 

Coté jardin, une mère descendue du ciel

Forte serait la tentation de la nommer “Marie”

Mais cette mère n’est pas la Vierge

Elle enfantera d’une oreille durant notre spectacle

Un doux lobe de chair, un ardent réceptacle.

C’est la Mère au chant confidentiel

Au propos existentiels

C’est la Dame circonstantielle

Aux mamelles torrentielles

Aux mains douces et providentielles

Madame Immatérielle

Sous le globe de l’Arc-En-Ciel.

 

Argument: de l’union extraconjugale entre le jardinier et la Mère substantielle, un troisième personnage vagit dans le giron maternel: un nouveau-né mort en couches. L’horrible sécateur du chirurgien a extrait du berceau vaginal une oreille si dense qu’elle pourrait contenir tous les psaumes de la terre.

 

La scène se passe à l’époque médiévale, entre deux vallées aux pentes austères.

 

LE CHŒUR DES ENFANTS

 

Vie ! Vie ! Vie !

Le Seigneur en altitude étend sa main puissante

Et du Canon de sa paume

Tel un projectile céleste

de grands jets sanctifiants

Éclairent les pâturages de la terre

Assèchent les larmes dévalant les vallées

Et réchauffent la Rosée.

 

 

8

 

VERLAINE I –

Devant la grandeur du mystère

Il m’apparut que l’enfant ressuscité n’était nul autre que lui

Mon ami de toujours qui récoltait à présent

Tous les honneurs de la classe.

 

En direction de Rimbaud I qui lui tourne le dos :

 

« Notre amitié va-t-elle survivre aux malheurs de la vie ? »

 

Il me répondit simplement que mon bonheur ne dépendait pas de lui. Il se remit à discuter de sciences et de résurrection avec les autres, et je dus m’excuser de les avoir interrompus.

 

Je fus malade jusqu’à la fin de l’hiver. Quand je revins à l’école, personne, pas même lui, n’avait gardé souvenir de qui j’étais. Et c’est l’accablante conclusion de mon histoire.

 

PASSAGÈRE 1 – Que j’ai encore écoutée malgré moi.

 

PASSAGER 1 – Je l’ai trouvée plus triste que la première fois.

 

PASSAGER 2 – De nouveaux détails m’ont frappé.

 

PASSAGER 3 – Cet ami de toujours était fort égoïste.

 

PASSAGER 4 – Je vous aurais embrassé avant de vous quitter.

 

PASSAGER 5 – Je ne vous aurais pas abandonné.

 

PASSAGÈRE 2 – Pauvre homme, vous n’avez pas mérité votre sort.

 

PASSAGÈRE 1 – On ne récolte jamais la pleine mesure de nos semences.

 

VERLAINE I – Vous est-il déjà arrivé

De vouloir changer de peau avec quelqu’un ?

De vouloir être cet Autre

Non pas le meilleur de la classe

Je n’en demandais pas tant

J’aurais voulu être le suivant

Celui, tenez, qui se trouvait juste à côté de moi

Tant pis s’il était laid

Tant pis s’il était médiocre

Il l’était déjà moins que moi.

 

RIMBAUD II – Ne l’avez-vous jamais revu ?

 

VERLAINE I – Oh que oui ! Combien de fois ? Trop de fois ! Trop de fois pour ne pas croire en sa méchanceté. À Londres, il avait rebroussé chemin en me voyant. À Marseille, il avait monté ses amis contre moi en me traitant d’imposteur. À Mons, il avait alerté la police. Il m’a fait mettre en prison. Pour quel motif, allez savoir ! Le malheur rend fou, la folie est un crime, et j’en suis horriblement coupable. Mais je dois accepter mon sort, et me contenter du peu que l’on m’accorde : merci. Merci à tous de m’avoir écouté.

 

LES PASSAGERS – C’était la moindre des choses.

 

VERLAINE I – Il tremble à l’idée qu’un jour, en le reconnaissant, je le confronte au miroir de sa propre absence. Car il doit être un jour où celui qui ne va jamais jusqu’à l’accomplissement doit se dresser devant l’évidence: celle de l’Élan, celle du Cœur, et celle de la Reconnaissance. Je vous parle d’aujourd’hui. Car ce jour est arrivé. Mon ami d’autrefois voyage avec nous, et je l’ai enfin reconnu.

 

RIMBAUD II – Quoi ? Il est ici sur ce bateau ?

 

VERLAINE I – Il cherche à me fuir.

 

RIMBAUD I, seul, errant sur le pont –

Il n’était pas dans mon intention

De le revoir ici.

J’étais en paix – sur le pont d’un bateau

Qui s’en allait nulle part.

Maudites voix qui déchirent le silence…

 

LE CHŒUR D’ENFANTS

 

Ô altitudo altitudinum !...

 

VERLAINE I – J’ai d’abord douté de moi-même tant la ressemblance était frappante.

 

PASSAGÈRE 1 – Êtes-vous bien sûr de ce que vous avancez ?

 

VERLAINE I – Ma tête sur le billot, ma main dans le feu, mes couilles dans un étau, que je l’ai reconnu !

 

PASSAGER 2 – Et qui est-ce ?

 

VERLAINE I, pointant son arme – Toi !

 

PASSAGER 3 – Lui ? Mais c’est un honnête homme !

 

VERLAINE I, dirigeant son arme contre le passager 3 – Tu oses prendre sa défense ?

 

PASSAGER 4 – Ah ! Ça recommence ! Ça ne finira jamais !

 

VERLAINE I, pointant son arme vers ce dernier – Cet homme qui avait fait semblant de ne pas me reconnaître à Londres, c’était toi, je n’en ai jamais douté.

 

PASSAGER 5 – Je vous défends de nous tutoyer. Nous sommes de bons citoyens, nous avons le droit de voyager en toute quiétude.

 

PASSAGÈRE 1 – Nous avons payé notre passage.

 

VERLAINE I – Ta quiétude, vaurien ? Et que fais-tu de la mienne ? Quand j’étais emprisonné à Mons par ta faute, tu te moquais bien de la paix de mon esprit !

 

Il tire.

 

PASSAGÈRE 2 – Attention ! Il est fou !

 

VERLAINE I, en direction de Rimbaud II – Le voyageur qui s’était défilé dans le corridor de l’hôtel… Celui qui avait refusé d’ouvrir ce soir où j’avais sonné à sa porte, c’était toi, tu ne peux pas le nier !

 

RIMBAUD II – Vous ne savez pas qui je suis, où j’habite, ce que je préfère et ce à quoi j’aspire.

 

VERLAINE – Ma douce patience est récompensée !

 

Il tire.

 

LES PASSAGERS – Au secours ! Nos vies sont en danger !

 

VERLAINE, tirant sur tous les passagers – Et tu vas continuer de protester ? Alors que tu viens toi-même de te trahir?  Et toi ! Depuis longtemps déjà je te vois te dérober à la beauté des fleurs pour t’enrichir dans la pourriture d’un fruit où tu enfouis ton secret ! (Il tire.) Et toi ! Te voici revenu dans ce monde ! Prisonnier de ta conscience à notre destin que tu as rompu !

 

PASSAGÈRE 1 – Dieu soit loué, vous n’êtes pas mort.

 

PASSAGER 1 – Moi non plus, je n’ai rien.

 

PASSAGER 2 – La balle a traversé mon chapeau, mais je suis resté en vie.

 

PASSAGER 3 – Si je vous entends, c’est que je suis vivant, moi aussi.

 

PASSAGER 4 – Mon heure n’était pas arrivée.

 

PASSAGER 5 – La mienne non plus. La nuit nous aura porté chance.

 

PASSAGÈRE 2 – Ne discutons ni de l’heure ni du hasard…

 

PASSAGÈRE 1 – Car l’avenir, déjà, et ce vers quoi nous tendons, s’est brusquement figé dans notre mémoire.

 

Un faisceau illumine l’enfant du début, mort sur le pont

Rimbaud I se penche sur l’enfant mort.

 

LES PASSAGERS, LE CHŒUR D’ENFANTS, LA MÈRE

 

Ô altitudo altitudinum !...

 

 

VOIX DE L'ENFANT

 

Nul besoin de rideau pour cacher mes épanouissements

À la face de l’univers.

Je n’ai même pas besoin de masque.

Je suis l’enfant du Mal,

Moi qui aurais tant voulu m’incarner

Dans une fleur réputée pour sa douceur.

J’aurais tant désiré, monsieur le professeur

Qu’un maître aussi rigoureux que vous

M’enseigne la gentillesse.

Mais ce savoir, vous le gardez pour vous seul

Comme un riche qui trop possède

Et qui ne veut pas donner.

C’est pour cela que je pleure.

 

Le noir.

 

 

 

 

normand chaurette